Platon (-424 à -348 av. J.-C.)

Il était un philosophe grec, contemporain de la démocratie athénienne et des sophistes, qu’il critiqua vigoureusement. Il reprit le travail philosophique de certains de ses prédécesseurs, notamment Socrate (-470 à -399), Parménide, Héraclite et Pythagore, afin d’élaborer sa propre pensée qui explore la plupart des champs importants, notamment la métaphysique, l’éthique, la philosophie de l’art et la politique. Diogène Laërce dit de lui qu’il est de six ans plus jeune que son ami Isocrate (-436 à -338) .

Son œuvre, composée presque exclusivement de dialogues, est d’une grande richesse de style et de contenu, et produit, sur de nombreux sujets, les premières formulations classiques des problèmes majeurs de l’histoire de la philosophie occidentale. Chaque dialogue de Platon est l’occasion d’interroger un sujet donné, par exemple le beau ou le courage. La pensée de Platon n’est pas monolithique : une partie de ses dialogues aboutissent à des apories philosophiques, et ses dialogues qui apportent une solution aux problèmes posés ne constituent pas une réponse unique et définitive.

Platon développe une réflexion sur les Idées communément appelée théorie des Formes ou théorie des Idées : celle-ci interprète le monde sensible comme un ensemble de réalités participant de leurs modèles immuables. La Forme suprême est, selon le contexte, tantôt le Bien, tantôt le Beau. La philosophie politique de Platon considère que la Cité juste doit être construite selon le modèle du Bien en soi.

Allégorie de la Caverne (La République, Livre 7)

SOCRATE. — Maintenant, représente toi notre nature, selon qu’elle a ou non été éduquée, sous l’aspect suivant. Imagine des hommes dans une demeure souterraine en forme de caverne, possédant une entrée ouverte à la lumière, qui s’étend sur toute sa longueur. Imagine aussi que ces hommes sont là depuis l’enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu’ils restent toujours à la même place et ne peuvent rien voir que ce qui se trouve devant eux, leur chaîne les empêchant de tourner la tête. Imagine, enfin, que la lumière d’un feu allumé loin derrière eux, sur une hauteur, leur parvient ; et qu’entre le feu et les prisonniers s’élève un chemin le long duquel un petit mur a été construit, semblable aux panneaux que les montreurs de marionnettes dressent entre eux et le public, et au-dessus desquels ils font voir leurs tours prestigieux.

GLAUCON. — Je l’imagine.

SOCRATE. — Envisage maintenant tout au long de ce petit mur des hommes portant toutes sortes d’objets fabriqués a qui dépassent le mur, des statuettes d’hommes et des animaux en pierre, en bois, façonnés dans toutes les formes ; et, bien entendu, parmi ces hommes qui défilent, les uns parlent et les autres se taisent.

GLAUCON. — Ton image et tes prisonniers sont très étranges.

SOCRATE. — Pourtant, ils nous ressemblent. Et d’abord, penses-tu que de tels hommes aient vu autre chose d’eux-mêmes et de ceux qui les entourent que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne en face d’eux ?

GLAUCON. — Comment pourraient-ils faire autrement, s’ils sont forcés de garder la tête immobile pendant toute leur vie ?

SOCRATE. — N’en est-il pas de même des objets qui défilent ?

GLAUCON. — Sans aucun doute.

SOCRATE. — Mais alors, s’ils pouvaient discuter, ne penses-tu pas qu’en désignant par un nom ce qu’ils voient, ils croiraient nommer les choses elles-mêmes ?

GLAUCON. — Nécessairement.

SOCRATE. — Et si le lieu de leur détention était tel que la paroi qui leur fait face leur renvoyait un écho ? Chaque fois que l’un des porteurs parlerait, ne crois-tu pas qu’ils prendraient sa voix pour celle de l’ombre qui passe devant eux ?

GLAUCON. — Si, par Zeus.

SOCRATE. — Il ne fait aucun doute que, dans une telle situation, ces hommes ne considéreraient comme vraies que les ombres des objets fabriqués.

GLAUCON. — Sans aucun doute.

SOCRATE. — Examine alors ce qui leur arrivera naturellement s’ils sont libérés de leurs chaînes et guéris de leur ignorance : chaque fois que l’un d’entre eux sera délivré et soudain contraint de se dresser, de tourner le cou, de marcher, de lever les yeux vers la lumière, tous ces actes le feront souffrir, et, à cause de la lumière éblouissante, il ne sera pas capable de regarder les objets dont il voyait jusqu’alors les ombres. Que répondra-t-il, à ton avis, si on lui dit qu’il n’a vu auparavant que des choses futiles, mais que maintenant il voit mieux, étant donné qu’il se trouve plus près de la réalité et qu’il est tourné vers des choses plus réelles ; et si, en outre, en lui montrant chacun des objets qui passent devant lui, on le force par des questions à dire ce qu’est chacun d’eux ? Ne crois-tu pas qu’il sera dans l’embarras et qu’il considérera les objets vus auparavant comme plus vrais que ceux qu’on lui montre à présent ?

GLAUCON. — Beaucoup plus vrais, en effet.

SOCRATE. — Et si on l’oblige alors à regarder la lumière même, n’aura-t-il pas mal aux yeux et ne la fuira-t-il pas pour se retourner vers les objets qu’il est capable de voir ?

Et ceux-là, ne les estimera-t-il pas plus clairs que ceux qu’on lui montre ?

GLAUCON. — Si.

SOCRATE. — Et si on le tire de là, par force, tout au long de la montée ardue et escarpée, et qu’on ne le lâche pas avant de l’avoir traîné dehors, à la lumière du soleil, ne souffrira-t-il pas, ne s’indignera-t-il pas d’être traîné de la sorte ? Et, une fois parvenu à la lumière, les yeux aveuglés de son éclat, ne sera-t-il pas incapable de voir ne serait-ce qu’un seul des êtres que nous appelons maintenant vrais ?

GLAUCON. — Il en sera incapable, du moins sur le champ.

SOCRATE. — En effet, je crois qu’il aura besoin de s’habituer, s’il veut voir les choses d’en haut. Tout d’abord, ce sont les ombres qu’il discernera le plus facilement, puis les reflets des hommes et des autres choses dans l’eau, puis les choses elles-mêmes. A partir de là, en levant les yeux vers la lumière des astres et de la lune, il contemplera pendant la nuit les corps célestes et le ciel lui-même plus facilement que pendant le jour le soleil et la lumière du soleil.

GLAUCON. — Sûrement.

SOCRATE. — Et je crois qu’en dernier lieu il pourra voir et contempler le soleil tel qu’il est ; non pas ses images dans l’eau ou sur n’importe quelle autre surface, mais le soleil lui-même à sa vraie place.

GLAUCON. — Nécessairement.

SOCRATE. — Puis, il en conclura que le soleil produit les saisons et les années, qu’il dirige tout ce qui se trouve dans le domaine visible et qu’il est, d’une certaine manière, la cause de tout ce que lui et ses compagnons voyaient dans la caverne.

GLAUCON. — Il est évident que c’est ce qu’il conclura au terme du parcours.

SOCRATE. — Mais alors, s’il se rappelle sa première demeure, la science qu’on y trouvait et ses compagnons de captivité, ne crois-tu pas qu’il sera heureux de ce changement et qu’il s’apitoiera sur les autres ?

GLAUCON. — Certainement.

SOCRATE. — Et ces honneurs et ces louanges qu’ils se décernaient les uns aux autres, et ces récompenses qu’ils accordaient à celui qui distinguait le mieux les ombres qui défilaient, à celui qui se souvenait le mieux de celles qui, d’habitude, passaient les premières, les dernières, ou arrivaient ensemble, et qui, par conséquent, était le plus apte à deviner l’ombre qui allait venir, penses-tu qu’il estimera cela digne d’envie ? Penses-tu qu’il sera jaloux de ceux qui, parmi les prisonniers, sont les plus honorés et les plus puissants ? Ou bien, ne préférera-t-il pas mille fois, comme le dit Homère : « n’être qu’un valet de ferme au service d’un pauvre paysan », plutôt que de revenir à ses opinions anciennes et de vivre comme il vivait là-bas ?

GLAUCON. — Je partage ton avis ; il préférera tout endurer plutôt que de vivre comme il vivait là-bas.

SOCRATE. — Bien, imagine encore qu’un tel homme redescende dans la caverne et s’assoie à nouveau à la place qui était la sienne ; n’aura-t-il pas les yeux aveuglés par l’obscurité, en arrivant soudain du plein soleil ?

GLAUCON. — Sans aucun doute.

SOCRATE. — Et s’il lui faut encore se mesurer avec les prisonniers toujours enchaînés, porter des jugements sur les ombres, cela pendant que sa vue est encore trouble et avant que ses yeux se soient habitués à l’obscurité —ce qui prendra beaucoup de temps — ne prêtera-t-il pas à rire et ne dira-t-on pas de lui que de son voyage il est revenu les yeux malades et qu’aller là-haut ne sert à rien ? Et si quelqu’un cherche à délivrer les prisonniers de leurs chaînes et à les conduire en haut, s’ils ont la possibilité de mettre la main sur lui et de le tuer, ne le tueront-ils pas ?

GLAUCON. — Certainement.

SOCRATE. — Maintenant, mon cher Glaucon, il nous faut appliquer cette image à tout ce que nous disions auparavant, assimiler le domaine visible au séjour de la prison et la lumière du feu qui l’éclaire à la puissance du soleil. En ce qui concerne l’ascension et la contemplation de ce qui se trouve en haut, si tu la considères comme la montée de l’âme vers le domaine intelligible, tu ne te tromperas pas sur ma pensée, que tu désires connaître. Et Dieu sait si elle a des chances d’être vraie ! En tout cas, voici ma vision des choses : aux confins du domaine connaissable il y a l’idée du Bien, qui est difficile à voir. Mais une fois qu’on l’a saisie, nous devons conclure qu’elle est en toutes choses la cause de tout ce qui est droit et beau ; que dans le domaine visible c’est elle qui a engendré la lumière et le maître de la lumière, et que, dans le domaine intelligible, c’est elle même qui, en souveraine, dispense vérité et intelligence ; enfin, que c’est elle qu’il faut saisir pour agir avec sagesse, dans la vie privée comme dans la vie publique.

GLAUCON. — C’est aussi mon avis, si du moins je suis ta pensée.

SOCRATE. — Alors avançons, suis la encore sur ce point : ne sois pas surpris que ceux qui sont parvenus à ces hauteurs ne cherchent plus à s’occuper du monde, mais que leurs âmes n’aspirent qu’à demeurer là-haut. Cela est très naturel, si mon image de tout à l’heure est juste.

GLAUCON. — Cela est naturel, en effet.

SOCRATE. — Mais quoi ? T’étonneras-tu que celui qui passe de ces visions divines aux misérables affaires humaines soit si maladroit et ridicule, lorsqu’on le force, la vue encore troublée et gênée par l’obscurité, à disputer, dans les tribunaux ou ailleurs, sur les ombres du droit ou sur les statues dont elles sont les ombres ? Et lorsqu’on l’oblige à critiquer vivement les opinions de ceux qui n’ont jamais vu la justice elle-même ?

GLAUCON. — Ce n’est pas du tout étonnant.

D SOCRATE. — Mais un homme sensé se souviendra que les troubles de la vue sont de deux sortes et proviennent de deux causes différentes : du passage de la lumière à l’obscurité et de celui de l’obscurité à la lumière. Et si l’on admet qu’il en est de même pour l’âme, chaque fois qu’on en verra une troublée et impuissante à discerner un objet, au lieu de rire sans réfléchir, on se demandera si c’est parce qu’elle vient d’une vie plus lumineuse qu’elle n’est pas habituée aux ténèbres, ou si c’est parce qu’elle sort d’une plus grande ignorance pour aller vers la lumière qu’elle est éblouie par cet éclat. Alors, on estimera heureuse la première, en raison de ce qu’elle éprouve et de la vie qu’elle mène, tandis qu’on plaindra la seconde ; et si l’on veut en rire, la moquerie sera moins ridicule que si elle s’adresse à l’âme descendant de la lumière.

GLAUCON. — Tes propos sont mesurés.

SOCRATE. — Si tout cela est vrai, il nous faut donc conclure que l’éducation n’est pas ce que certains, qui en font une profession, prétendent qu’elle est. Ils affirment en effet introduire dans l’âme la science qui n’y est point, comme on introduirait la vue dans des yeux aveugles.

GLAUCON. — C’est ce qu’ils affirment, en effet.

SOCRATE. — Or, ce que nous voulons montrer, c’est que cette aptitude à apprendre, et l’organe destiné à cet usage, se trouvent dans l’âme de chacun. Et de même que l’œil ne peut se détourner de l’obscurité vers la lumière sans que tout le corps n’accompagne son mouvement, de même cet organe ne peut se détourner des choses qui périssent qu’avec l’âme tout entière, jusqu’à ce qu’elle soit capable de supporter la vue de l’être et de ce qu’il y a de plus lumineux dans l’être — et que nous appelons le Bien, n’est-ce pas ?

GLAUCON. — Oui.

SOCRATE. — L’éducation, en recherchant la façon la plus simple et la plus efficace d’orienter cet organe, sera l’art de cette conversion. Il ne s’agit pas de fournir la vue à cet organe, puisqu’il la possède déjà ; mais comme son regard n’est pas orienté dans la bonne direction, de tout mettre en œuvre pour qu’il le soit.

GLAUCON. — En effet.

SOCRATE. — Les autres venus de l’âme, puisque c’est comme cela qu’on les appelle, sont sans doute très proches de celles du corps. Car, bien qu’elles ne soient pas effectivement en nous dès l’origine, on peut les acquérir par l’habitude et l’exercice. En revanche, la vertu de la réflexion semble plus que tout relever du divin, elle qui ne perd jamais sa puissance, et qui, selon l’orientation qu’on lui donne, devient ou bien utile et avantageuse ou la bien inutile et nuisible. N’as-tu pas encore remarqué, au sujet de ceux qu’on dit à la fois méchants et habiles, combien leur misérable petite âme a la vue perçante et distingue avec acuité les choses vers lesquelles elle se tourne ; sa vue n’est donc pas faible, mais on la force à se mettre au service de sa méchanceté, de sorte que plus cette âme a la vue pénétrante, plus elle fait de mal.

GLAUCON. — Tout à fait.

SOCRATE. — Et pourtant, si, dès l’enfance, on allège une telle âme de ces masses de plomb, si je peux m’exprimer ainsi, qui s’apparentent au devenir (et qui, se développant par les festins, les plaisirs et autres appétits, tournent la vue de l’âme vers le bas) ; si donc, débarrassée de ce fardeau, elle se tourne vers les véritables réalités, cette même âme chez les mêmes hommes verra très nettement ces réalités, comme elle voit à présent les choses vers lesquelles elle se tourne.

GIAUCON. — C’est vraisemblable.

SOCRATE. — Mais quoi ? N’est-il pas aussi vraisemblable et ne ressort-il pas nécessairement de tout ce que nous avons dit, qu’une cité ne peut jamais être bien gouvernée, ni par des gens sans éducation et ignorants de la vérité, ni par ceux qu’on laisse toute leur vie se cultiver ? Les premiers parce qu’ils n’ont pas de but unique, sur lequel régler tous leurs actes, dans la vie privée comme dans la vie publique. Les autres, parce qu’ils ne s’en chargeront jamais, de leur propre chef, persuadés qu’ils sont d’être, déjà de leur vivant, aux îles des Bienheureux.

GIAUCON. — C’est vrai.

SOCRATE. — Il nous faut donc, nous les fondateurs de la cité obliger les meilleures natures à prendre le chemin de l’étude que nous avons saluée comme la plus haute, à voir le Bien et à effectuer cette ascension ; et lorsqu’ils l’auront effectuée, et qu’ils auront suffisamment vu le Bien, il ne faut plus leur permettre ce qu’on leur permet à présent.

GIAUCON. — Quoi donc ?

SOCRATE. — De rester là-haut et de ne plus vouloir redescendre auprès des prisonniers ni partager leurs travaux et leurs honneurs, qu’ils soient méprisables ou dignes d’estime.

GIAUCON. — Mais, devrons-nous être si injustes avec eux et les faire vivre plus mal, alors qu’ils pourraient jouir d’une vie meilleure ?

SOCRATE. — Tu as encore oublié, mon ami, que la loi ne se soucie pas de garantir le bonheur d’une classe privilégiée de citoyens, mais qu’elle tente de le réaliser pour l’ensemble de la cité, en unissant ses membres par la persuasion ou par la contrainte, et en amenant les uns à faire part aux autres des avantages que chaque classe peut apporter à la communauté. Tu as aussi oublié que si la loi s’applique à former de pareils hommes dans la cité, ce n’est pas pour laisser chacun se tourner où il veut, mais pour l’inciter à renforcer la cohésion de la cité.

GLAUCON. — Il est vrai ; je l’avais oublié.

SOCRATE. — Sache donc Glaucon que nous ne serons pas injustes envers les philosophes qui se seront formés chez nous. Mais nous leur expliquerons que c’est pour des raisons de justice que nous les forçons à prendre soin des autres et à les protéger. Nous leur dirons en effet : Il est naturel que ceux qui, comme vous, deviennent philosophes dans les autres cités ne participent pas aux charges de la vie publique. Car ils s’y forment eux-mêmes, indépendamment de la volonté du gouvernement en place, et il est juste que ce qui pousse tout seul et ne doit sa subsistance à personne ne soit redevable à personne des frais de sa subsistance. Mais vous, c’est nous qui vous avons donné le jour pour jouer à l’égard de vous-mêmes et du reste de la cité le rôle que jouent les chefs et les reines dans les essaims d’abeilles. Nous vous avons donné une éducation meilleure et plus achevée que celle qu’ont reçue les philosophes des autres cités, et nous vous avons rendus plus aptes qu’eux à participer à la philosophie et à la politique. Chacun d’entre vous doit donc descendre, à son tour, dans la demeure commune et s’habituer à regarder ce qui est obscur. Cette accoutumance vous permettra en effet de voir infiniment mieux qu’eux, et vous reconnaîtrez chaque image pour ce qu’elle est et ce qu’elle représente, puisque vous aurez vu la vérité des choses belles, justes ou bonnes. Ainsi, le gouvernement de la cité deviendra, pour nous et pour vous, une réalité et non un rêve, comme le sont la plupart des cités actuelles d’où les chefs ne combattent entre eux que pour des ombres et se disputent pour s’emparer du pouvoir, comme s’il s’agissait d’un grand bien. Voici sur ce point la vérité : la cité que gouverneront ceux qui cherchent le moins à exercer le pouvoir aura nécessairement le gouvernement le meilleur et le moins susceptible de rébellions. La cité dont les chefs agiront autrement connaîtra la situation inverse.

GLAUCON. — C’est parfaitement vrai.

SOCRATE. — Penses-tu donc que nos élèves, en entendant tout cela, nous désobéiront et refuseront de participer, à leur tour, aux charges du pouvoir ? Penses-tu qu’ils préféreront passer entre eux la plus grande partie de leur temps dans la région des Idées ?

GLAUCON. — Cela est impossible, parce que ce sont des personnes justes et que ce qu’on leur demandera est juste.

Ce qui est certain, c’est que chacun d’entre eux ne gouvernera que par devoir, contrairement à ceux qui dirigent aujourd’hui toutes les cités.

SOCRATE. — Il en est en effet ainsi, mon ami. Si tu  découvres tous ceux qui doivent gouverner un genre de vie préférable à celui qu’assure le pouvoir, ta cité pourra être bien dirigée. Car, c’est seulement dans cette cité que les gouvernants seront les vrais riches, non en or, mais en vie sage et vertueuse, seule richesse dont l’homme heureux a besoin. Mais si viennent aux affaires publiques des gueux, avides d’accaparer des biens, convaincus que c’est là qu’ils saisiront le Bien, tu ne pourras pas avoir une cité bien gouvernée. Car le pouvoir devient ici l’enjeu de luttes, et cette guerre civile et intestine les détruit eux-mêmes comme le reste de la cité.

GLAUCON. — C’est tout à fait vrai.

SOCRATE. — Connais-tu donc une autre vie qui méprise le pouvoir politique mise à part celle de la vraie philosophie ?

GLAUCON. — Non, par Zeus.

SOCRATE. — Il faut donc que ceux qui vont au pouvoir ne le désirent pas inconsidérément ; sinon, les prétendants se feront la guerre.

GLAUCON. — Comment en serait-il autrement ?

SOCRATE. — Qui forceras-tu à assurer la protection de la cité sinon ceux qui, tout en connaissant les meilleurs moyens de gouverner une cité, jouissent d’autres honneurs et vivent mieux que l’homme politique ?

GLAUCON. — Personne d’autre.

Platon_Silanion