Julien Benda (1867-1956)

Julien Benda est un critique, philosophe et écrivain français, principalement connu pour son ouvrage de 1927, La Trahison des Clercs.

La Trahison des Clercs – Quatrième de couverture

« Les hommes dont la fonction est de défendre les valeurs éternelles et désintéressées, comme la justice et la raison, et que j’appelle les clercs, ont trahi cette fonction au profit d’intérêts pratiques. » Les mises en garde de Benda pouvaient, en 1927, au nom du réalisme, passer pour peu fondées. Aujourd’hui l’ouvrage apparaît comme étrangement prophétique. Les thèses de Benda, parce qu’elles se réfèrent à l’universel, ont triomphé de la double épreuve du temps et de l’histoire. A sa mort, en 1956, Jean Daniel résuma le sentiment général en lui appliquant, avec plus de justesse même, le mot de Sartre à la mort de Gide : « Sa vigilance va manquer. »

Citations

  • « Aujourd’hui il n’est presque pas une âme en Europe qui ne soit touchée, ou ne croie l’être, par une passion de race ou de classe ou de nation et le plus souvent par les trois. Il semble que l’on constate le même progrès dans le Nouveau Monde, cependant qu’à l’extrémité de l’Orient d’immenses collections d’hommes, qui paraissaient exemptes de ces mouvements, s’éveillent aux haines sociales, au régime des partis, à l’esprit national en tant que volonté d’humilier d’autres hommes. Les passions politiques atteignent aujourd’hui à une universalité qu’elles n’ont jamais connue ». (La Trahison des clercs, 1927).
  • « Cette adhésion des clercs à la passion nationale est singulièrement remarquable chez ceux que j’appellerai les clercs par excellence, j’entends les hommes d’Église. Non seulement l’immense majorité de ces hommes ont, depuis cinquante ans et par tous les pays d’Europe, adhéré au sentiment national et donc cessé de donner au monde le spectacle de cœurs uniquement occupés de Dieu, mais ils paraissent bien adopter ce sentiment avec la même passion que nous venons de signaler chez les gens de lettres et être prêts, eux aussi, à soutenir leur pays dans ses moins discutables injustices. C’est ce qui s’est vu en toute clarté, lors de la dernière guerre, pour le clergé allemand, auquel on n’a pas pu arracher l’ombre d’une protestation contre les excès commis par sa nation, et dont il semble bien que son silence ne lui ait pas été dicté seulement par la prudence. » (La Trahison des clercs).
  • « Clercs de tous les pays, vous devez être ceux qui clament à vos nations qu’elles sont perpétuellement dans le mal, du seul fait qu’elles sont des nations. Vous devez être ceux qui font qu’elles gémissent, au milieu de leurs manœuvres et de leurs réussites : « Ils sont là quarante justes qui m’empêchent de dormir. » Plotin rougissait d’avoir un corps. Vous devez être ceux qui rougissent d’avoir une nation. Ainsi vous travaillerez à détruire les nationalismes. À faire l’Europe. » (Discours à la nation européenne, 1933).
  • « J’exprimerai ici un de mes vœux. Je voudrais qu’il existât comme une affaire Dreyfus en permanence, qui permit de toujours reconnaître ceux qui sont de notre race morale et les autres, au lieu que, dans le mensonge de la vie courante, ces distinctions sont estompées et je dois, parce qu’ils relèvent d’un certain ton et d’une certaine coupe d’habits, serrer la main de gens que je méprise pleinement. Je manifestais cet esprit dès le lendemain de l’affaire; car, alors que mes amis parlaient de « l’apaisement », je déclarais ne l’appeler nullement, mais souhaiter que l’adversaire continuât de proclamer sa thèse en toute rigueur afin que je pusse toujours lui signifier la mienne. On me dit : « Que faites‑vous de l’intérêt de la France, qui veut la paix entre les Français? » Je réponds que l’intérêt de la France m’est fort peu de chose auprès de la netteté en matière morale, et que cette préférence est une définition de ma forme d’esprit. Je dois convenir, au reste, que je suis bien servi, le 6 février, l’affaire éthiopienne, l’arrivée du ministère Blum, la guerre civile espagnole ayant produit chez nous une véritable affaire Dreyfus constante, dont j’espère qu’elle durera jusqu’à la fin de mes jours. (Toutefois je me vante : je ferais taire mes inimitiés si la France était en danger.) » (Un régulier dans le siècle, 1938).

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